Les droits humains sont-ils solubles dans le métavers ?

À Montpellier, pour permettre aux jeunes filles de se déplacer en ville sans avoir peur de se faire insulter ou agresser, l’initiative de la société civile appelée « Raccompagne ta sœur » a dû être mise en place. Saurons-nous éviter que ce type de mesure réparatrice ne vienne à être rendue nécessaire dans les temps à venir du métavers pour protéger vos avatars ?

Cette chronique est proposée par Philippe Coen, juriste fondateur de l’ONG Respect Zone, directeur de la Clinique juridique des droits humains numériques de Paris Dauphine (PSL) et président du Comité de déontologie des juristes d’entreprise

Le métavers offre des vies parallèles et l’avènement d’un nouvel espace social.

Le don d’ubiquité est enfin devenu une réalité augmentée ou virtuelle.

Art, mode, jeux vidéo apprécient innovation et commerce et aiment à se jouer les innovateurs.

Le groupe Bouygues se réjouit d’avoir tenu son premier conseil d’administration en mode avatar.

Les marques, une par une, se positionnent pour ouvrir des espaces de ventes immersifs et des NFTs dans le métavers. L’envers du décor est beaucoup moins rose, surtout lorsqu’il s’agit de protéger les droits humains.

Un sentiment d’impunité dû à l’anonymat

Récemment une plainte pour viol, dans le métavers, a été déposée.

L’appréhension d’une infraction dans le métavers n’a rien d’évident juridiquement tant les textes en vigueur n’ont pas été pensés en mode avatar. Pour ce qui concerne le harcèlement, la loi prévoit la réunion des éléments matériel, intentionnel et légal.

L’avatar « victime » sera-t-il assimilé à une extension de la personne humaine ?

La liberté d’expression d’un avatar peut-elle être déresponsabilisée ? Cette problématique est de douloureuse mémoire, vécue sur les réseaux sociaux dans lesquels le sentiment d’anonymat donne une illusion d’impunité.

Dans le métavers, le recours à la blockchain renforce cet anonymat.

Le risque est donc bien présent que des avatars hurlent leur hargne et leur haine sans modération à l’heure où le métavers permet de faire vivre les avatars de personnes décédées et alors que la propriété intellectuelle des créateurs est en grave danger d’implosion.

Des solutions pratiques couplées à une législation européenne

L’ONG Respect Zone réfléchit en profondeur et conduit des auditions au sujet de ces problématiques pour identifier des propositions pratiques. Une bulle de protection autour de votre avatar existe déjà pour déclencher une forme d’air bag privé. Est-ce suffisant ? Certes non.

La solution la plus évidente commence par une responsabilisation des plateformes, des entreprises et des marques et naturellement des usagers individuels. Par des programmes évolutifs et adaptés, par des boutons de signalement efficaces et dépourvus d’ambiguïté.

Le cerveau humain, on le sait, peine à distinguer le jeu, le virtuel du monde réel. Il est donc urgent de poser les bases de règles universelles, pour éviter l’« Apocalypse cognitif » prévu par Gérald Bronner.

Le « Digital Services Act » (DSA) est le premier texte européen appréhendant la responsabilité des réseaux sociaux, ceux-là même qui touchent le quotidien de milliards d’individus.

Or, seuls quelques gros opérateurs qui se comptent sur les doigts d’une seule main, se devront de protéger les droits et libertés ainsi que la vie privée et livrer une concurrence loyale en vertu de ce texte et du « Digital Market Act » (DMA).

Le droit souple est-il la solution pour une technologie en perpétuelle réinvention ? Pour éviter les agressions comme le harcèlement dans le métavers et la prolifération des infox et des notations citoyens, la plateforme de Respect Zone prévoira des conditions d’utilisation strictes et des protocoles de signalement.

Dans les années 60, une série portait un nom prémonitoire : « Au-delà du réel » prévenant de l’effroi d’un monde dans lequel des forces peuvent contrôler les écrans. Charge à nous d’éviter que le métavers ne devienne le nom nouveau d’un univers numérique totalitaire.

Le respect des droits humains sera-t-il proposé en série ou en option dans le métavers ? Juristes, à nous de répondre !

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