
Les bases d’un nouvel « État de droit » ont été posées en Tunisie par un référendum organisé le 25 juillet. Si le « Oui » l'emporte définitivement comme annoncé par les premiers résultats, une nouvelle constitution pourrait entrer en vigueur à la fin de l'été. Analyse de son contenu.
« Approuvez-vous le projet de la nouvelle Constitution de la République tunisienne » ? Près de neuf millions de Tunisiens ont été invités à répondre à cette question lors d'un référendum organisé le lundi 25 juillet. Les résultats définitifs seront connus à la fin août, mais une participation de 30,50% a d’ores et déjà été annoncée.
Présenté comme un « exercice démocratique » par le pouvoir en place, ce référendum porte sur les fondements de ce qui pourrait être l’État de droit tunisien, si le « Oui » l'emporte comme les premiers résultats préliminaires l'indiquent (94.6%).
Quatre semaines à huis clos
Cette nouvelle version s’inscrit très clairement en rupture avec le système parlementaire mis en place par la Constitution de 2014, la première de l’ère post Ben Ali.
Par sa forme déjà. La Constitution du 26 janvier 2014 était le fruit de deux ans de travail, de débats, de compromis entre des politiques, des juristes et la société civile à l’issue de la Révolution de Jasmin. Le quartet, à son origine, a, d’ailleurs, reçu le Prix Nobel de la Paix en 2015 pour ce travail.
De son côté, le projet de Constitution 2022 a été rédigé par une commission dont les membres ont été sélectionnés par le président, Kaïs Saïed, lui-même. Ils ont travaillé « pendant quatre semaines à huis clos, ne sollicitant que peu de contributions extérieures, pour ne pas dire aucune », a alerté l’ONG Human Rights Watch.
Un « traitement prioritaire » des propositions présidentielles
Sur le fond, les différences sont flagrantes. Contrairement à la Constitution de 2014, la désignation et la révocation du gouvernement se ferait indépendamment du Parlement par le président. Il pourrait les révoquer à sa guise.
Une deuxième chambre du Parlement, le Conseil des régions et des districts, serait créée à côté de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il serait composé de personnes élues par les membres des conseils régionaux et de district, et non plus au suffrage universel (article 81). L'ARP continuerait de disposer du pouvoir de rédiger et promulguer des lois. Elle serait toujours en mesure de renverser le gouvernement par une motion de censure, mais la procédure - un vote majoritaire des deux tiers - serait plus compliquée que celle actuellement en vigueur.
Les membres du gouvernement obtiendraient le droit d’assister aux travaux de l’Assemblée, y compris au sein des commissions. Les propositions de loi présentées par le président bénéficieraient d’un « traitement prioritaire » par rapport à celles des parlementaires.
L’immunité des membres du Parlement serait également réduite (articles 65 et 66 dans le projet de Constitution, au lieu des articles 68 et 69 dans la Constitution de 2014), notamment en raison de l’exemption de l’immunité pour « calomnie » et « diffamation », que le discours incriminé soit prononcé à l’intérieur ou à l’extérieur de l’assemblée.
Le projet de Constitution précise que les membres de l’ARP seraient élus au terme d’élections libres et directes et générales (art. 60).
Une justice aux ordres
Les juges seraient privés du droit de grève et seraient plus facilement révocables par l’exécutif. Cette évolution n’est pas très surprenante compte tenu des relations plus que tendues entre le président actuel et la magistrature. Début février, Kaïs Saïed a dissous le Conseil supérieur de la magistrature et a révoqué 57 juges quelques mois plus tard.
Suivant cette mainmise de l’exécutif sur la justice, le projet de la nouvelle Constitution indique que les juges seraient nommés par le président par une ordonnance directe sur recommandation du Conseil de la magistrature dont c’était, auparavant, l’une des prérogatives.
Un État d'exception sans contrôle
Enfin, la composition de la Cour Constitutionnelle serait désormais soumise au pouvoir exécutif. Prévu par la Constitution de 2014, cet organe indépendant, chargé de vérifier la constitutionnalité des textes législatifs, n’a jamais été établi pour le moment.
Si finalement il est mis en place, il ne pourrait pas s’opposer à la mise en œuvre de l’état d’exception, régime transitoire décidé par le président lui-même en cas de « péril imminent » (article 96) et qui lui garantit des pouvoirs élargis.
Aucune procédure de destitution du président n’est prévue, ce qui était le cas jusqu'ici en cas de « violation grave de la Constitution ». Le projet de Constitution 2022 maintient la limite de deux mandats présidentiels (article 90), mais supprime la disposition de la Constitution de 2014 selon laquelle la Constitution ne peut être modifiée pour augmenter le nombre de mandats (article 75).
En votant en faveur de ce projet, les Tunisiens accepteraient d’instaurer un régime hyper présidentiel renforçant les pouvoirs du chef de l’Etat. Un revirement complet par rapport à la Constitution de 2014 qui limitait volontairement le rôle du président afin d’éviter un nouveau régime autocratique.
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